Escalade à Kamouraska : 48 heures



Depuis que je signe les communications Web de mon nouvel employeur, il y a déjà une demi-année de cela, je n’ai malheureusement pas eu l’occasion de participer à la foule d’activités que l’entreprise nous propose.  Mais le rendez-vous en escalade à Kamouraska, lui, je ne voulais pas le rater. En discutant avec des collègues, j’ai réalisé qu’avec beaucoup de motivation, l’autonomie que procure une voiture et un congé sans solde, je pouvais modestement me joindre à l’aventure. 

                Mon copain et moi devions prendre le minivan en filature au bord duquel mes compatriotes de travail voyageaient jusqu’au site, dans le Bas-Saint-Laurent. Malheureusement, un lever tardif, le classique, a retardé notre départ. Toutefois, j’ai su trouver notre chemin, ou le croyais-je, en lisant un article du magazine Espaces qui présentait cette destination où le vertige des uns fait le bonheur des autres. Pressée de partir, je note la route en partance de Montréal : 132 Est, sortie à gauche et cap sur le camping La Sebka. Optimiste, je suis convaincue d’avoir identifié l’endroit où mes collègues érigeront leurs tentes. J’emporte avec moi pour toute confirmation que mon carnet de numéros dans lequel JE CROIS avoir noté le numéro d’une PRÉSUMÉE participante. Ça, c’est moi tout craché ! 

                En fait, nous aurions dû emprunter l’autoroute 20. Du coup, nous avons longé le fleuve, magnifique, certes, jusqu’à Rivière-du-loup, point de non-retour où je me suis réconciliée avec le GPS. Heureusement, mon couple a le bonheur facile : du moment qu’il est à bord de la GTI mobile, pour lui, l’aventure commence. 


                  Bien qu’imbéciles heureux, nous nous réjouissons à destination : « Kamou ». Le soleil se fatigue, les Québécois mâchent leurs dernières bouchées de dessert et les Français, eux, prennent l’apéro. Vous savez que je sors avec un « Maudit Français », non ? 



Or, MF et moi sommes accueillis en grandes pompes par d’enthousiastes et de friands vampires volants. Mon amoureux, tout blanc de noblesse, attire efficacement les maringouins, tombés sous le charme de sa peau claire. Nous sautons illico sous une douche de citronnelle avant de casser la croûte en marge du groupe que nous avons finalement rejoint. Ça joue au Loup-garou au bord d’un feu de camp. Rassasiés de vivres et de jeu, nous migrons tous vers un belvédère qui surplombe la bouche béante du fleuve. Le ciel scintille de mille feux. Nous sommes le 12 août. Les perséides déchirent la voûte céleste. Et à Kamouraska, le firmament est saturé d’étoiles.

Mes compatriotes finissent par s’éclipser, nous laissant entre amoureux. Certains vont retrouver leur couche duveteuse ; d’autres, leurs mouchoirs. Il faut avouer que mon acolyte s’est abondamment aspergé d’antimoustique, ce qui ne fait pas l’unanimité chez les narines de mes pairs. Quoi ?! Le pauvre, il espérait que lui restent une ou deux parcelles cutanées vierges. Fail!  

Cette nuit-là, je ne compte pas les moutons. Je m’endors plutôt dans une position dont je me réveille alarmée, angoissée que mon épaule nécrosée n’affecte ma grimpe le lendemain. Je termine donc mon repos sur le siège arrière de la voiture. Attention ! Cette manœuvre ne doit être pratiquée que par les personnes de petite taille. 


Le matin enfin arrivé, la cordée chemine vers les parois majestueuses. Nous roupillions pratiquement au pied des pics rocheux à escalader. Les droits de passage pour une journée s’élèvent à sept dollars ; la passe annuelle, à trente dollars. Nous atteignons la portion à conquérir vers les dix heures : Tintin au Tibet, 2 pour 1, Premier Nez (aucune coquille à signaler), le Menhir et les voies à l’ouest de Tintin au Tibet, que la majorité d’entre nous n’a pas abordées. 

Un urubu veille sur nous ; nous patientons en veillant les uns sur les autres allongés sur le « cerveau », protubérance au nord des voies. Ici, pas besoin de lunettes d’assurage à prisme. 

Les premiers parcours, le 2 pour 1 et le Premier Nez, me mettent en appétit pour suivre celui de Tintin au Tibet, une 5.9C. En salle, je réussis régulièrement cette cote. Pourtant, après trois essais, le dévers vient à bout de moi. Viennent aussi à bout de mes nerfs fragiles la cacophonie de conseils qu’on me prodiguent d’en bas, où mon assureur sécurise ma montée. Confrontée à l’éventualité de « péter une coche » je me résigne à abandonner mon acharnement, soucieuse de préserver avant tout la bonne humeur dans le groupe plutôt que de flatter mon ego. Mon amoureux, lui, parvient à gravir le toit alors que je le surpasse habituellement dans l’exécution de crux difficiles. Je tangue entre la jalousie et la fierté. 



 Nous faisons relâche pour la pause-repas, que tête de linotte québécoise et tête en l’air française ont oubliée. Pas de goûter. Pas de forces non plus en après-midi, regrettablement. Cela dit, nous nous restaurons de bonheur et d’hauteur fraîche, en dévorant un paysage à couper le souffle : l’estran croît d’heure en heure et s’étend dans toute sa splendeur à deux ou trois kilomètres de nous. Bien qu’il soit impossible d’humer l’air salin, notre obstination cognitive nous joue des tours, abasourdie, elle aussi, par ce rivage fantasque. 

En après-jeûne, nous abordons Cassonade, une 5.8. Encore une fois, rien à voir avec les voies des centres d’escalade. Grimper dehors redonne à l’escalade tout son sens et ses sens : le danger est imminent et la roche, râpeuse. Pas besoin de talc, car le toucher équivaut celui du papier sablé. Aucun tracé coloré non plus ; toute la liberté de choisir ses prises, où la lecture de la voie s’avère du coup réellement utile. Dans l’alcôve de 5.8 dites « classiques », un défi supplémentaire se dresse devant nos mollets : les maringouins nous ont retrouvés. Aussi faut-il hameçonner les fissures que les faiblesses de la paroi nous offrent et résister à l’envie de tout lâcher pour mettre une claque à l’insecte qui, pendant ce temps, se gave impudiquement de notre sang. Mais, malgré la mouche, je garde un souvenir merveilleux de cette Mecque de l’escalade au Québec.
 
Comme dans la nature règne sauvagement la loi du plus fort, Dame Nature, en grands pleurs, débarque, faisant fuir la nuée de moustiques. Mon copain et moi avons tout juste le temps de plier bagage et de s’enfoncer sous les arbres, sur le sentier du retour, avant de se réfugier dans la voiture. 

Au camp, des sacs de couchage détrempés pendouillent sur les cordes à linge improvisées. Nous arrivons trop tard, l’ondée passée. Nous constatons les dégâts sans pouvoir y remédier. Nous mettons alors tout en vrac dans le coffre, vaincus, puis faisons un détour par la microbrasserie adjacente pour sonner le glas de notre départ. Deux jours, c’est court. 

En grimpatouilleurs affamés que nous sommes, nous pénétrons l’antre du refuge de houblon lumineux. Et… nous y retrouvons, attablée, La Cordée avec laquelle nous venons de partager les derniers 48 heures. Aussi, nous trinquons à notre séjour pour, cette fois, clore définitivement cette fin de semaine inoubliable.



NOTE (ajoutée le 2015-11-06) :


Société d'écologie des battures du Kamouraska

Au printemps 2000, La Cordée a octroyé des fonds à la société d’écologie des battures du Kamouraska (SEBKA). Cette dernière gère depuis plus de 20 ans une halte écologique en bordure du fleuve et point de départ pour différentes activités de plein air. Parmi les beautés du Bas-Saint-Laurent qu’on peut y découvrir, on note dix kilomètres de sentiers de randonnée pédestre et une mise à l’eau pour qu’amateurs de kayak de mer puissent explorer la région.

Grâce, entre autres, au montant que nous avons pu consentir à La SEBKA, l’organisme communautaire développe et entretien les infrastructures de l’un des sites d’escalade les plus importants de la province : les falaises de Saint-André-de-Kamouraska.

Pour en savoir plus : www.sebka.ca

Articles les plus consultés