Ma grossesse : un 42,5... semaines.
La théorie du Big Bang
Je n’avais jamais voulu être mère.
Petite, je préférais jouer à la grande sœur plutôt qu’à la maman. Au secondaire, alors qu’on
s’émerveillait du « miracle de la vie » en biologie, je me faisais la
réflexion que, tout bien considéré, un embryon fitte à quelques détails près la description d’un parasite.
Plate, la fille. À des années-lumière
de la maternité.
Je n’aime pas les kids? Au
contraire.
Jouant avec les morveux que je
gardais, je ne m’empressais jamais de les coucher. Vive le Laser Quest
maison! En plus, j’avais peur sans « mes chums » à attendre le retour
tardif des parents. Ne restait alors plus qu’un seul ami debout : mon esprit effroyablement
fertile. Et puis, ma vie tournait pratiquement
autour des jeunes, de tous âges. Tantôt monitrice en camp de vacances, tantôt
en base de plein air. En plus de coacher
toute l’année dans une tonne de sports. J’avais autant de plaisir à créer
de la magie féérique pour tout-petits crédules qu’à inventer des tours de prestidigitation
pour faire collaborer des ados défiants.
N’empêche, aucune cellule de mon corps n’avait la fibre maternelle. Imperméable aux pulsions procréatrices, désintéressée à l’idée de prendre dans mes bras maladroits un bébé porcelaine.
Pourquoi se reproduire, alors? Parce que 1) j’avais rencontré mon
sportif fiable avec qui voir au-delà de mon sarcasme. Et, franchement, 2) je suis tombée
enceinte un peu prématurément. Comme on tombe en amour : par désinvolture. Mais surtout, 3) ça m'avait plu, l’effet de
surprise dans un monde où tout semble calculé d'avance.
Durant le 1er trimestre, il y a eu les gueules de
bois sobres.
Après avoir fêté la nouvelle de ma
grossesse, les inconforts. Cette impression de lendemain de veille
semi-permanent sans la super fiesta
mémorable. Surtout durant le 2e mois. Ça écœure par bouttes. Endurer, ça, je savais le
faire. Même quand l’espoir est pas mal magané.
Mais à 8 semaines, j'ai vibré sur le plus beau beat du monde : la tachycardie de ma crevette. Esprit libre déjà, mon fœtus
s’obstinait dans une cadence indépendante. Bien distincte de la mienne. J’avais
entendu son rythme cardiaque dans le haut-parleur de la gynécologue. Comment cet énervé réussissait-il à
jouer un air si différent? La régularité de mon pouls retentissant, trouvant
écho dans tous mes viscères, aurait pourtant dû s’imposer comme un métronome
tout puissant. Mais non.
Avec son chant dissident, mon fils musicien a déverrouillé le cœur rempli d’amour de sa mère mélomane.
À 15 semaines, il se manifestait à nouveau. À grands coups
cette fois. Son papa lui a tendu l’oreille sourde de ses paumes, puis ils ont
communiqué comme ça, en code morse, à travers moi.
Au 2e trimestre, j’ai abordé la parentalité sous un angle
familier : en entraînant ma progéniture dans l’action.
J’ai grimpé en moulinette jusqu’à environ 34 semaines. Stimulée par le défi, je composais
avec les forces et les faiblesses d’un corps métamorphosé. J’ai réduit le degré
de difficulté des voies que j’ascensionnais afin de grimper-dégrimper les
parois. Ainsi, j’évitais d’avoir le ballon-ventre pris en étau en restant suspendue
dans les airs en harnais ouistiti à la suite d’une chute. J’ai par ailleurs
fait une pause d’escalade de blocs, pour minimiser les risques d’impacts. J’ai accroché mes varappes lorsque
mes articulations endolories me l'ont suggéré.
Je me suis mise aux longueurs à défaut de pouvoir fouler
l’asphalte à la course. Un énorme compromis que je faisais avec mon immense dédain
des bains publics. C'est-à-dire que j’ai développé ma compétence en nage
au fur et à mesure que j'ai bâti une résistance à l’écœurement. Les Objets
en Suspension Non Identifiés dans les piscines, ça devrait
être illégal. Magnifique et difforme en bikini,
je défilais arborant le tatouage de ma linea nigra. Avec une auréole bleutée au nombril – cadeau
de la diastase.
Le ridicule, souvent au rendez-vous, m’a aussi fait vivre des
trucs à côté de la track. Pff! On m’a caressé la bedaine pendant
que je m’entretenais avec une relation professionnelle. L’attention de mes
collègues pouvait d'ailleurs, et à tout moment, être déviée vers mon ventre,
qui s’agitait sans prévenir. Attraction malgré moi, mon corps
engrossé m’a déguisée en mascotte.
Au 3e trimestre, j’ai pris le
virage Bixi. J’ai couru les festivals de la métropole, souvent rattrapée par
des Braxton Hicks – compétiteurs présents sur toutes les distances
officielles.
Et j’ai beaucoup récupéré, avec
Morphée.
Malgré ma forme herculéenne, vers 7 mois, j’ai frappé un mur.
On m’a montré ça dans les cours
prénataux : l’ac-cou-che-ment. Mon doux Jésus et tous les autres saints! Le
grand désenchantement de la future maman. Impossible de prendre mes jambes à
mon cou. Au littéral comme au figuré. I
was fucked. Alors, j’ai essayé de jauger
l’effort. On compare ça à courir un marathon? J’ai donc recherché les sages
paroles d’une championne. Elle avait 5 délivrances à son actif. Pas juste
des temps records, mais tous des PB (personal
best). Spirituelle, elle m’a confié : « Peu importe comment ça se
passe, ça finit par finir. »
À la Saint-Jean-Baptiste, j’arrivais au terme de mes 40 semaines. Une étrange habitude s’installait : bouffer des céréales en pleine nuit, vers 3 heures du matin. Va savoir pourquoi.
Je me sentais de plus en plus vétérante, dépassée par l’arrivée imminente
d’une nouvelle recrue québécoise. Je débarquais de mon vélo quand mes
contractions embarquaient. J’annulais des BBQ piscine tout juste de l’autre
côté du pont pour rester chez moi, sur le qui-vive, à suffoquer dans le smog
montréalais et à attendre.
Mes proches, fébriles de recevoir
un coup de fil, un texto, un courriel, quelque-chose-n’importe-quoi, retenaient
presque leur respiration. Les formes extraterrestres qui pointaient sous ma
peau liftée inquiétaient mon chat, et moi aussi.
Finalement, j’ai dépassé ma date
prévue de 2 semaines et demie.
Moins de 24 heures avant d’être provoquée, pow! je me suis pris le coup de départ en plein bide. Intense, rapide. Un marathon? Non. Plutôt un 5 K express.
Mes stats? Un 42,5 avec un chrono total d’à peine 5 heures. Test de
dépistage, clean. Pas le temps pour la
péridurale. Médaillée, j’embrassais mon or recouvert de vernix à 3:03 le matin du 3 juillet. Beurk! Mon premier geste maternel dégoûtant.
Mon 6 livres violacé portait un
foulard de cordon ombilical autour du cou. Deux tours. Moment de vide. Tour de
passe-passe de l’infirmière. Et ce qu’on veut entendre : brailler. À plat
ventre sur moi, mon bébé Just Right a relevé une lourde tête dodelinante.
Il m’a fixé avec ses prunelles noir démon et là, juré-craché, la Terre a arrêté
de tourner.
Mon bilan sportif
Durant les 9 mois qu’a duré la
grossesse, j’ai mis de côté les arômes du café et les flaveurs des alcools.
Durant les 8 mois et demi qu’a duré mon allaitement, j’ai englouti des
tonnes de nourriture sans réussir à garder un seul gramme. Dix-sept mois
après la conception, déplumée mais heureuse, je reprenais enfin la vraie course
à pied et quelques livres de santé.
Durant mon congé de maternité,
Thomas et moi avons barboté dans des pataugeoires tièdes. Ouache! C’est encore
plus dégueulasse que les OSNI. L’automne de ses 3 ans, il a découvert le
vertige à Horizon Roc. Il aura 4 ans cet été, et on lui a trouvé son
premier bike à pédales.
Nous avons nagé, grimpé, randonné,
pédalé et couru ensemble. Un vrai un chien de poche, cet enfant! Ses « Maman,
attends-moi! » sont en train de devenir des « Maman,
viens-t’en! » Neuf mois, ç’a passé vite. La suite, encore plus. Quand il se
pousse avec ses amis au parc Lafond, je lui grefferais un GPS à la peau
comme on insère une puce aux animaux domestiques. Pour réussir à le pister, le
p’tit maudit.
Sans m’appartenir – on le savait indépendant depuis 8 semaines – il est la chair de ma chair. Tout en étant femme, je suis sa maman kangourou. Je le bécote, je le dorlote, j’ai mal quand il se blesse. Et je le retrouve dans tous les bébés porcelaine que je côtoie. Je ne suis plus plate, pis j'ai fini par presque oublier l'accouchement.
Anecdote : Je ne connaissais pas le sexe de mon bébé avant sa naissance. Mais depuis l'automne, mon fils s'appellait Thomas et ma fille, Camille. J'ai eu un garçon pour la Saint-Thomas. Il faut croire que le hasard fait bien les choses.