KAYAK | La Conception rouge

Il y a une histoire de plein air marquante que je n'ai jamais racontée ici, sur mon blogue. Elle s'ajoute au nombre de fois où j'ai pagayé la Rouge, vers La Conception. Ç'aurait pu être la dernière fois que je descendais ce bout de rivière d'ailleurs. Mais au contraire, chaque année à la fin juillet j'y retourne maintenant. Comme on va au cimetière, pour honorer ses souvenirs.

Ceux et celles qui me connaissent le savent, j'adore les animaux. En ce moment, j'ai deux chats : Tuxedo et Sonic (en fait, ce dernier est à mon fils). Et, à l'époque, j'avais un chien en plus d'une volière et d'un aquarium. Cet article parle justement d'Atchoum, mon border collie.


J'ai amené mon petit garçon en assez bas âge sur la Rouge vers La Conception, en kayak. Ce tronçon très tranquille et peu profond s'avère parfait pour les randonnées en famille - j'en sais quelque chose pour avoir travaillé à Pause Plein Air, qui l'exploite, même si j'ai guidé davantage sur la rivière du Nord à la hauteur de Val-David. Bref, l'été 2017, ma famille et moi y étions allés avec ma voisine MC, son chien (Zia) et notre border, Atch.

Notre chien nous suivait partout, comme un 2e enfant.


Les bêtes s'amusaient à la mise à l'eau pendant que j'attendais mon sac oublié à l'atelier. Atchoum, avec son VFI rouge, nageait, nageait, nageait... Parfois, j'allais la forcer à s'arrêter un peu, mais elle faisait sa tête de cochon et repartait tout de suite, la p'tite patate. Quand j'ai finalement reçu mon bardas, je suis allée repêcher mon entêtée. Elle a résisté, un peu ado à 8 mois alors qu'elle m'écoutait très bien en général, et elle est replongée encore une ou deux fois avant que je tranche : "Non, ça suffit". Je l'ai agrippée par le gilet de sauvetage pour l'embarquer avec moi.

De nature craintive (les border collie sont normalement sensibles), Atch n'a pas eu la piqûre pour la baignade tout de suite. C'est en l'initiant à la bergerie qu'elle a pris son premier bain, dans un ruisseau adjacent. Un concept nouveau et d'abord inquiétant, auquel elle a ensuite complètement emboîté la patte. Au bord de la piscine de chez mon père ou près de notre spa à la maison quand je me baignais, je n'avais qu'à lui donner le "go" pour que ma chienne saute à l'eau, débordante d'enthousiasme.

Une fois, elle a eu un malaise : elle était devenue complètement amorphe après avoir vomi plusieurs fois et, pire encore, elle s'isolait. Nous l'avions transportée d'urgence à l'hôpital vétérinaire, mon ex et moi, mais les médecins lui avaient diagnostiqué seulement un coup de chaleur.


Atch et moi courions 5 kilomètres presque tous les matins en semaine, c'était ma partenaire sportive. Toutefois, elle devait toujours récupérer après 4 kilos. Atch et moi jouions beaucoup au frisbee et, parfois, dans la ruelle aussi, avec les enfants du quartier et le nôtre : Thomas. Je l'ai encore, ce disque molasse de caoutchouc rouge. Après une joute de soccer de 30 minutes avec de féroces adversaires de 3 à 5 ans, elle avait mis une demi-heure pour reprendre son souffle.

Un ou deux mois avant notre sortie en kayak, elle n'avait plus très faim non plus et je devais ruser pour stimuler son appétit.


Atch et moi dormions ensemble, aussi. Elle s'assoupissait vers 21 heures, puis me suivait jusque dans "notre" chambre quand, moi, j'allais enfin me coucher. C'était mon chien de poche, carrément. Le matin, coup sur coup, je la réveillais quand mon fils ne l'avait pas déjà fait en nous rejoignant dans le lit. Ils se disputaient mon attention, ces deux-là.

J'ai toujours adoré mon enfant plus que tout, même si je voyais un peu Atchoum comme ma petite fille. Thomas ne comprend pas qu'il a gagné toutes les batailles avant même d'avoir à les livrer.


Oui, des comportements canins curieux pour un border collie racé de moins d'un an. Mais les examens médicaux ne décelaient rien d'anormal.


Revenons à nos moutons. J'ai sorti mon chien de berger de la rivière Rouge, donc, et je l'ai installé dans mon kayak entre mes jambes.

Quand elle a enfin accepté son sort, elle s'est effondrée sur moi. Je la croyais épuisée, je pensais qu'elle dormirait un peu pendant que je pagaie et que ça irait mieux ensuite. Mais rapidement, elle s'est réveillée en vomissant liquide plusieurs fois. Puis, elle est retombée comateuse dans l'embarcation. Ça m'a alarmée, j'ai interpelé MC, qui a une technique en santé animale. En soulevant les babines d'Atch, on a observé des gencives blanches : mon animal manquait d'oxygène.

On s'est tous accostés à la berge. Mon amie s'occupait d'Atchoum, mon ex surveillait notre fils et Zia pendant que, moi, j'appelais aux secours à tous les points d'aide que je connaissais. Mais c'était un dimanche des vacances de la construction, nous étions isolés sur une rivière des Laurentides et tout était fermé cet après-midi là.

Le nouveau propriétaire de Pause Plein Air, lui, est parti nous rejoindre en camion. J'ai traversé la Rouge à la nage pour grimper le talus et j'ai stoppé une voiture sur le bord de la 117 pour signaler le kilomètre précis auquel nous étions. Puis, j'ai couru, couru, couru en sandales et en bikini à contre-sens des véhicules pour rencontrer notre chauffeur au plus criss. 

MC m'a dit avoir vu tout mon background sportif sortir dans ma réaction bourrée d'adrénaline : la technique, l'endurance, la force, l'agilité et le cardio. Moi, je me souviens d'une seule chose : tout faire pour essayer de sauver mon chien. Mais je devine ce qu'elle a pu observer parce que j'ai vu, moi, mon ex grimper une pente en transportant notre bête de 40 livres lourdement molle et inconsciente. Lui aussi, il a fait tout ce qu'il a pu pour sauver son border collie.

Dans le pick-up roulant vers Pause Plein Air, j'ai stimulé Atch pendant que ceux et celles que j'avais abandonnés sur la rivière, eux, pagayaient leurs environ 12 kilomètres jusqu'à la sortie de l'eau. Ça devait être horrible.

Et il s'est passé quelque chose d'étrange. Alors qu'aucune manœuvre ne semblait fonctionner depuis 30 minutes (trop long), Atchoum a repris ses esprits, puis s'est tournée vers moi pour me regarder directement - je vous le jure. Et elle s'est mise à trembloter, comme un défibrillateur. On m'a expliqué plus tard que c'est ce qui arrive lorsque le corps n'a plus d'oxygène pour vivre.

Le conducteur, qui était pompier, m'a dit de "Pas grave!" lui casser des côtes et faire un massage cardiaque pour enfants. "Tu sais comment faire?" Oui. Mais... quelque chose en moi a compris que c'était inutile. Même que, rendu là, je m'acharnais simplement sur la dépouille de mon chien et la décence m'a empêchée de mutiler, en plus, son cadavre. Dans le meilleur des cas, soyons réalistes, je ramenais une morte-vivante. Alors, j'ai l'ai prise dans mes bras et je l'ai serrée contre mon cœur à la place.

...

Et, là, oui, bien sûr, j'ai un peu perdu la carte. On m'a laissée chialer comme une petite fille avec mon toutou. Si longtemps qu'Atchoum a commencé a se rigidifier.

Quand, moi aussi, j'ai eu fini de vomir liquide par les yeux, on m'a prise en charge avant que, moi aussi, je meurs d'une noyade au bout de ma peine d'amour. Le reste demeure flou. Je pense avoir appelé mon père. Je me rappelle ne pas vouloir quitter mon chien, et que le pompier a dû prendre ma place pour que j'accepte d'aller aux toilettes. Un peu plus de trois heures ont passées comme ça, sans queue ni tête.

Je me suis remise à vivre quand mon fils a accosté à la sortie de l'eau, où je l'attendais avec une grosse mauvaise nouvelle. Il a voulu le voir, lui, son animal et il l'a embrassé en lui souhaitant bonne nuit une dernière fois - mon fils a toujours été exceptionnel comme ça, j'ai aucune idée d'où ça lui vient. Puis, il m'a demandé si ça allait et dans ses yeux, à lui, j'ai vu que c'était surtout ça qui comptait pour lui : que j'aille bien.

Alors, j'ai commencé mon deuil.

Nous avons reconduit Atch à la SPCA la journée même. On avait un chien vivant à bord avec nous, tout de même! J'ai bordée ma toutoune d'un sac de plastique, moi-même. La responsable n'en revenait pas : "Je fais ça tous les jours, mais je ne peux pas m'imaginer le faire à mon chien." Être là, avec l'animal ou la personne que j'aime, jusqu'à la fin semble ma façon d'affronter la mort.

Même si des images douloureuses restent imprégnées sur ma rétine.

Le pire, c'est quand on est rentrés à la maison sans elle. Je me suis occupée de mon gars pendant que mon ex se fumait un gros pétard, puis je l'ai averti que je sortais. J'ai couru jusqu'à chez mon ami Alex, souillée de tous les liquides corporels dans lesquels j'avais baignés ce jour-là.

On s'est assis, j'ai pleuré. On a marché, j'ai bu une Sloche à la cerise (aucune idée pourquoi je me souviens de ce détail futile). On est allés se balancer au parc, je suis rentrée à la maison. Je me suis couchée toute sale, crevée et seule dans un grand lit king. Je me suis réveillée le lendemain en hurlant de douleur; j'ouvrais les yeux pour la première fois sur un jour où mon chien n'était pas couché à côté de moi.

Mon ex s'est occupé de notre garçon.

Et la vie a continué comme ça. Un jour, j'ai fini par me sentir véritablement mieux. Comme mon fils l'a si bien dit : ma peine a séchée. Mais elle a longtemps pleuré à l'intérieur, comme il l'a aussi décrit avant que, lui aussi, fasse son deuil.

Ça fait deux ans et demi. Et ça fait un peu plus de deux ans que je suis séparée. Atch nous a probablement libérés de notre prison en mourant; le meilleur ami de l'homme. 

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