TISSU AÉRIEN | Ce qui nous a fait grimper aux rideaux
L'an dernier, je me suis inscrite à un cours de tissu aérien à la Caserne 18-30. Ça faisait 15 ans que je n'avais pas touché un appareil. J'ai donc choisi un cours débutant, surtout que j'y allais avec ma proprio, qui - elle - n'avait pas refait d'aérien depuis 20 ans. Nous avons tous les deux fait pas mal de trapèze, entre autres.
Ce billet porte sur cette idée de revenir à ces anciennes amours...
Quand je suis entrée dans le gymnase la première fois, je me sentais un peu perdue. Pas comme en entrant dans un hôpital. Plutôt comme en chaussant ses skis après de longues années à faire de la planche à neige, ou à ne rien faire du tout. Tout me paraissait familier, mais l'assurance n'y était plus vraiment. Comme lorsqu'on retrouve un vieil ami au sortir de l'avion après une séparation importante; est-ce que les retrouvailles vont être magiques ou banales? Ou plutôt, dans mon cas, ça m'a donné l'impression de retourner à mon école primaire; plus de la moitié du personnel a pris sa retraite, mais quelques binettes me disent encore quelque chose.
Avec le groupe, on a fait la routine d'échauffement. Ça allait bien. J'en avais perdu en repérage spatio-temporel dans les vrilles et les culbutes, mais grosso modo tous les mouvements résonnaient chez moi. Dans un nouveau corps par contre : des jambes raides de coureuse, surtout en carpé écart. Ouh là! Moins de souplesse (beaucoup moins de souplesse) et des lombaires moins musclées aussi. Je ne pouvais plus m'en faire un matelas. Pour la première fois de ma vie, j'ai eu besoin d'un tatami pour éviter que ma colonne raffle le sol.
Montons, voulez-vous? J'ai pris les tissus dans mes mains, deux pans de rideaux extensibles rouges un peu sales. Mon cœur s'est emballé de hâte, comme un enfant qui s'apprête à sauter dans une piscine de balles. J'ai mis de la résine plutôt que de la magnésie, comme on le ferait plutôt en escalade. Puis, j'ai eu peur : et si je ne savais plus faire ce qui m'avait tant fait vibrer? Mais ça allait à peu près, en fait. Je me hissais là-dedans, je me renversais, je me coinçais les ci et les ça aux bons endroits sans m'épuiser inutilement. Parce qu'en acrobatie, il faut éviter de perdre ses forces dans le placement. Un peu comme en grimpe, il faut savoir s'économiser.
Presque tout de suite en enlaçant l'appareil, j'ai dû me rendre à l'évidence : ma musculature avait fondu, ma mémoire avait des trous comme un fromage suisse et, pire encore, mes moniteurs francophones n'appelaient pas les figures par les mêmes noms que mes coachs de jadis, anglophones. Ish! Comme des retrouvailles avec mes cousins du ROC : ils sont heureux de pouvoir reparler français, mais les mots leur manquent. En acro, moi, j'ai eu besoin de langage des signes pour comprendre. Corey, ça l'énervait. Il disait que je ne faisais pas d'effort de visualisation. Mais Édith nous démontrait quoi faire, et j'arrivais à grimper à mon tour et à reproduire les mouvements... du premier coup très souvent.
- T'as pas déjà fait du cirque ou de la gymnastique, toi, par hasard?
- Oui, j'ai fait pas mal beaucoup de cirque. Il y a longtemps.
À force de remettre les morceaux ensemble, j'ai fini par me rappeler le gros de la gestuelle acrobatique. Puis, j'ai ajouté une séance d'entraînement hebdomadaire pour être plus endurante dans les montées. Je me suis ré-investie, quoi. Chaque dimanche libre, je m'exerçais à monter-descendre durant environ une heure. Je coupais mon zèle légendaire de deux-trois figures de temps en temps. On vieillit, on apprend à dompter sa passion. Surtout en ayant pratiqué la course à pied, sport dans lequel les progressions doivent être très douces pour que les gains soient durables.
Tout doucement, en emboîtant le pas avec persévérance, je me suis remise à faire du cirque pour vrai : apprivoiser l'appareil en innovant.
Mon corps, lui, se souvenait de la passion. Il suffisait de lui faire confiance et de lui donner le temps. Ç'a été un brin émouvant comme rencontre. Comme l'instant où, au cinéma, deux personnes se reconnaissent pour la première fois ou l'énième fois. Accordéon burlesque en trame de fond, habits dépareillés toujours à la mode.
Dans les airs, je me sens entière et cohérente. Comme lorsqu'on s'accepte enfin.
Toujours, j'ai espéré m'y remettre à l'aérien. Mais comme pour le bike, tout passait tout le temps avant mes envies : les dépenses, la santé, la famille, etc. Se séparer a ça de bon : ça réduit le nombre de paliers d'approbation et les shifts de garde (mais ça, c'est triste). Et, surtout, ça oblige à mettre ses culottes parce qu'on n'a personne d'autre à blâmer que soi-même. Facque j'ai ré-arrangé mon horaire et je me suis trouvé un jour de libre chaque semaine pour entreprendre des projets personnels, comme refaire de l'acrobatie.
Au boulot, dans ton couple et dans ta vie, sit at the table esti. En tous cas, j'essaie.
Entretemps, j'avais consacré ma retraite prématurée à la reminéralisation de mes genoux blessés par des entorses et au renforcement leurs ligaments en pédalant, pédalant, l'articulation toujours bien dans son axe. J'abordais donc mes amours de jeunesse de nouveau en bonne ex intelligente : plus mature. L'âge ne peut pas rivaliser avec les prouesses d'une jeunesse entraînée. Mais rassurez-vous, on n'apprend pas à un vieux singe à grimacer.
Oui, j'ai eu une espèce de minicrise de la quarantaine avant mes 40 ans en me renvoyant dans les airs avec le cirque. Une partie de moi, nostalgique et parfois un peu perdue dans sa nouvelle vie, a voulu toutte crisser ça là pour pouvoir en manger, manger, manger.... comme un chocolat de Pâques après le Carême. Mais en même temps, non. J'ai bâti quelque chose d'autre, ailleurs, qui me ressemble aussi. Bref, jamais je n'aurais laissé le père de mes enfants pour avoir la chance de revivre l'amour avec mon quick d'adolescence, or c'est le même principe.
Mon identité n'est pas confinée au sport que je pratique. Ma façon de résoudre un problème et de réagir est plutôt unique, jonchée sur un trapèze à 20 pieds dans les airs ou assise dans mon fauteuil au bureau du 3e étage de la Tour Québecor. Je cherche à créer de la valeur en présentant une version la plus originale possible.
Retournons aux bobos puisqu'on se fait vieux. Comme dans une relation, après l'ivresse des premiers relans arrive le ressac de la réalité. Et ça peut changer, ou pas pantoute. Au tissu, pour moi, ça s'est complètement transformé : les coupures dans les chutes et les hématomes dûs aux noeuds d'équilibre sont devenus tolérables alors que, tout à coup, je me suis mise à avoir mal, mal, mal aux doigts.
J'avais tenu une barre de trapèze pendant 7-8 ans. J'avais agrippé corde de lisse, cerceau et tissus pendant 3-4 ans. J'avais fait de l'escalade pendant plus de 15 ans. J'ai dans mon baluchon génétique, en plus, de l'athrose. Les tendons, les articulations et toutes ces parties microscopiques de la main m'ont fait souffrir le martyre. En dehors des cours, je pressais une balle de stress tout le temps pour me soulager et j'aurais presque envie de dire que je mangeais des Advil comme des Smarties. Mais vous commencez à me connaître : Nothing is bigger than a fish almost caught.
Souvenirs de cirque : avoir mal tout le temps et des hématomes partout. Sauf que, avec le recul, je ne me plaignais pas. Je n'en étais pas fière non plus par contre. J'Instagramais mes bleus, il faut évoluer. :P
Alors, est-ce que l'amour dure toujours? Peut-être, oui. Où est-ce plutôt une question de retomber, encore et encore, amoureux? Je pense que c'est ça, aussi. Est-ce que les passions mêmes les plus ardentes peuvent s'éteindre? Oui et non, il faudrait d'abord identifier le carburant véritable. Et est-ce que l'amour peut en enfanter un autre, encore plus grand? J'espère bien, oui.
Joyeuse St-Valentin :)
Ce billet porte sur cette idée de revenir à ces anciennes amours...
Quand je suis entrée dans le gymnase la première fois, je me sentais un peu perdue. Pas comme en entrant dans un hôpital. Plutôt comme en chaussant ses skis après de longues années à faire de la planche à neige, ou à ne rien faire du tout. Tout me paraissait familier, mais l'assurance n'y était plus vraiment. Comme lorsqu'on retrouve un vieil ami au sortir de l'avion après une séparation importante; est-ce que les retrouvailles vont être magiques ou banales? Ou plutôt, dans mon cas, ça m'a donné l'impression de retourner à mon école primaire; plus de la moitié du personnel a pris sa retraite, mais quelques binettes me disent encore quelque chose.
Avec le groupe, on a fait la routine d'échauffement. Ça allait bien. J'en avais perdu en repérage spatio-temporel dans les vrilles et les culbutes, mais grosso modo tous les mouvements résonnaient chez moi. Dans un nouveau corps par contre : des jambes raides de coureuse, surtout en carpé écart. Ouh là! Moins de souplesse (beaucoup moins de souplesse) et des lombaires moins musclées aussi. Je ne pouvais plus m'en faire un matelas. Pour la première fois de ma vie, j'ai eu besoin d'un tatami pour éviter que ma colonne raffle le sol.
Montons, voulez-vous? J'ai pris les tissus dans mes mains, deux pans de rideaux extensibles rouges un peu sales. Mon cœur s'est emballé de hâte, comme un enfant qui s'apprête à sauter dans une piscine de balles. J'ai mis de la résine plutôt que de la magnésie, comme on le ferait plutôt en escalade. Puis, j'ai eu peur : et si je ne savais plus faire ce qui m'avait tant fait vibrer? Mais ça allait à peu près, en fait. Je me hissais là-dedans, je me renversais, je me coinçais les ci et les ça aux bons endroits sans m'épuiser inutilement. Parce qu'en acrobatie, il faut éviter de perdre ses forces dans le placement. Un peu comme en grimpe, il faut savoir s'économiser.
Presque tout de suite en enlaçant l'appareil, j'ai dû me rendre à l'évidence : ma musculature avait fondu, ma mémoire avait des trous comme un fromage suisse et, pire encore, mes moniteurs francophones n'appelaient pas les figures par les mêmes noms que mes coachs de jadis, anglophones. Ish! Comme des retrouvailles avec mes cousins du ROC : ils sont heureux de pouvoir reparler français, mais les mots leur manquent. En acro, moi, j'ai eu besoin de langage des signes pour comprendre. Corey, ça l'énervait. Il disait que je ne faisais pas d'effort de visualisation. Mais Édith nous démontrait quoi faire, et j'arrivais à grimper à mon tour et à reproduire les mouvements... du premier coup très souvent.
- T'as pas déjà fait du cirque ou de la gymnastique, toi, par hasard?
- Oui, j'ai fait pas mal beaucoup de cirque. Il y a longtemps.
À force de remettre les morceaux ensemble, j'ai fini par me rappeler le gros de la gestuelle acrobatique. Puis, j'ai ajouté une séance d'entraînement hebdomadaire pour être plus endurante dans les montées. Je me suis ré-investie, quoi. Chaque dimanche libre, je m'exerçais à monter-descendre durant environ une heure. Je coupais mon zèle légendaire de deux-trois figures de temps en temps. On vieillit, on apprend à dompter sa passion. Surtout en ayant pratiqué la course à pied, sport dans lequel les progressions doivent être très douces pour que les gains soient durables.
Tout doucement, en emboîtant le pas avec persévérance, je me suis remise à faire du cirque pour vrai : apprivoiser l'appareil en innovant.
Mon corps, lui, se souvenait de la passion. Il suffisait de lui faire confiance et de lui donner le temps. Ç'a été un brin émouvant comme rencontre. Comme l'instant où, au cinéma, deux personnes se reconnaissent pour la première fois ou l'énième fois. Accordéon burlesque en trame de fond, habits dépareillés toujours à la mode.
Dans les airs, je me sens entière et cohérente. Comme lorsqu'on s'accepte enfin.
Toujours, j'ai espéré m'y remettre à l'aérien. Mais comme pour le bike, tout passait tout le temps avant mes envies : les dépenses, la santé, la famille, etc. Se séparer a ça de bon : ça réduit le nombre de paliers d'approbation et les shifts de garde (mais ça, c'est triste). Et, surtout, ça oblige à mettre ses culottes parce qu'on n'a personne d'autre à blâmer que soi-même. Facque j'ai ré-arrangé mon horaire et je me suis trouvé un jour de libre chaque semaine pour entreprendre des projets personnels, comme refaire de l'acrobatie.
Au boulot, dans ton couple et dans ta vie, sit at the table esti. En tous cas, j'essaie.
Entretemps, j'avais consacré ma retraite prématurée à la reminéralisation de mes genoux blessés par des entorses et au renforcement leurs ligaments en pédalant, pédalant, l'articulation toujours bien dans son axe. J'abordais donc mes amours de jeunesse de nouveau en bonne ex intelligente : plus mature. L'âge ne peut pas rivaliser avec les prouesses d'une jeunesse entraînée. Mais rassurez-vous, on n'apprend pas à un vieux singe à grimacer.
Oui, j'ai eu une espèce de minicrise de la quarantaine avant mes 40 ans en me renvoyant dans les airs avec le cirque. Une partie de moi, nostalgique et parfois un peu perdue dans sa nouvelle vie, a voulu toutte crisser ça là pour pouvoir en manger, manger, manger.... comme un chocolat de Pâques après le Carême. Mais en même temps, non. J'ai bâti quelque chose d'autre, ailleurs, qui me ressemble aussi. Bref, jamais je n'aurais laissé le père de mes enfants pour avoir la chance de revivre l'amour avec mon quick d'adolescence, or c'est le même principe.
Mon identité n'est pas confinée au sport que je pratique. Ma façon de résoudre un problème et de réagir est plutôt unique, jonchée sur un trapèze à 20 pieds dans les airs ou assise dans mon fauteuil au bureau du 3e étage de la Tour Québecor. Je cherche à créer de la valeur en présentant une version la plus originale possible.
Retournons aux bobos puisqu'on se fait vieux. Comme dans une relation, après l'ivresse des premiers relans arrive le ressac de la réalité. Et ça peut changer, ou pas pantoute. Au tissu, pour moi, ça s'est complètement transformé : les coupures dans les chutes et les hématomes dûs aux noeuds d'équilibre sont devenus tolérables alors que, tout à coup, je me suis mise à avoir mal, mal, mal aux doigts.
J'avais tenu une barre de trapèze pendant 7-8 ans. J'avais agrippé corde de lisse, cerceau et tissus pendant 3-4 ans. J'avais fait de l'escalade pendant plus de 15 ans. J'ai dans mon baluchon génétique, en plus, de l'athrose. Les tendons, les articulations et toutes ces parties microscopiques de la main m'ont fait souffrir le martyre. En dehors des cours, je pressais une balle de stress tout le temps pour me soulager et j'aurais presque envie de dire que je mangeais des Advil comme des Smarties. Mais vous commencez à me connaître : Nothing is bigger than a fish almost caught.
Souvenirs de cirque : avoir mal tout le temps et des hématomes partout. Sauf que, avec le recul, je ne me plaignais pas. Je n'en étais pas fière non plus par contre. J'Instagramais mes bleus, il faut évoluer. :P
Alors, est-ce que l'amour dure toujours? Peut-être, oui. Où est-ce plutôt une question de retomber, encore et encore, amoureux? Je pense que c'est ça, aussi. Est-ce que les passions mêmes les plus ardentes peuvent s'éteindre? Oui et non, il faudrait d'abord identifier le carburant véritable. Et est-ce que l'amour peut en enfanter un autre, encore plus grand? J'espère bien, oui.
Joyeuse St-Valentin :)